24En dépit de sa nature problématique, mais en raison de sa signification historique, ce paradigme permet de mieux comprendre le sens possible de l’inceste dans le Peau d’âne de Demy. Comme le dandy masculin, les deux femmes demeurent des sujets désirants, même lorsqu’elles sont présentées comme des objets d’art. 48Même s’il s’inspire de la féerie, Demy atténue la gravité de l’inceste présente chez Perrault en soulignant la frivolité de la fée des Lilas qui refuse d’écouter la princesse tant qu’elle n’a pas fini de se préparer. En outre, son recours aux miroirs fait clairement référence au cinéma de Jean Cocteau qui, dans presque tous ses films, établit une équivalence entre « les miroirs, le narcissisme et l’homosexualité78 ». endobj Liberté artistique et satire grotesque. Chez Capellani, de même que dans la féerie, le roi pleure dès qu’une situation le contrarie, comme quand sa fille refuse un prétendant. Dès ce jour, le roi ne voulut plus jamais revoir sa fille et s’enferma dans son veuvage. 25Demy fait allusion à l’inceste dans Les Demoiselles de Rochefort – où Monsieur Dame, le « beau-père » de Solange, désire ouvertement celle-ci – et dans Parking, où Jean Marais incarne à nouveau la figure d’un père incestueux42. » Ainsi l’homme gay peut-il s’identifier au père et le désirer, ou s’identifier à la mère et, à travers son identification à celle-ci, désirer le père. Découvrez plus de 56 millions de titres, créez et écoutez vos propres playlists et partagez vos titres préférés avec vos amis. 12, no 1, 1998, p. 69-88. Car, en France, même dans les éditions destinées aux enfants, le thème de l’inceste est maintenu et ce conte connaît une grande diffusion9. Dans le film de Demy, le prince rêveur qui croit aux fées erre dans la forêt ; quand il découvre la maison de Peau d’âne, il n’est pas libre de choisir l’endroit d’où il pourra l’observer. Le catalogue de la Bibliothèque nationale de France répertorie une version de 1808, mais la publicité de l’édition de 1838 affirme qu’elle a été « représentée pour la première fois à Paris en 1838 » (ibid., p. 599), indice selon lequel elle a pu faire l’objet de tournées préalables en province. Lorsque les nains rentrent chez eux, elle les oblige à se laver avant de manger, dans une scène assez drôle. Par toutes ses attaches avec les textes et les engins du monde moderne, la fée incarne l’avenir inscrit dans le passé et rappelle constamment au spectateur l’existence d’un écart entre notre temps et le non-temps (le passé intemporel) du conte représenté à l’écran, ce qui rend manifeste et, par là même, dénaturalise l’artifice du cinéma en tant que moyen d’expression. 43Dans une certaine mesure, Demy contextualise le conte de Perrault en incorporant à son film des éléments empruntés à l’époque de la société de cour de Louis XIV, avec la vogue du conte de fées des années 1690, qui en marque la naissance comme courant littéraire68. À propos des stars du cinéma Babuscio écrit : « [Le camp] est davantage une manière de se moquer de toute la cosmologie des rôles sexuels restrictifs et des identifications sexuelles dont se sert notre société pour opprimer ses femmes et réprimer ses hommes, y compris celles et ceux de l’écran13. Thomas Inge note que Disney et ses collaborateurs ont ancré les personnages du film dans la culture américaine des années 1930 (voir T. Inge, art. D’une part, sa présence dans un film-conte de fées ne peut que remettre en mémoire son incarnation de la Bête dans le film de Cocteau. 46 Richard Dyer, Now You See It : Studies on Lesbian and Gay Film, New York, Routledge, 1990, p. 66. Amour, amour, je t’aime tant… Je t’aime tant… – Peau d’Âne On en est tous – toutes – là : c’est quoi l’Amour (bordel) ? Alors qu’au château de Versailles, la reine est soumise à l’étiquette de la cour et au regard de courtisans et de ministres intrigants dont elle se méfie, c’est elle qui, au Trianon – comme Peau d’âne en sa maison –, a le pouvoir de contrôler magistralement le regard de l’Autre, notamment en choisissant ceux qui peuvent la regarder. De même que l’esthétique camp bouleverse les dichotomies telles que nature/culture, féminin/masculin, animal/humain, le regard camp déstabilise l’opposition entre sujet et objet, soi et autrui : le sujet se fait spectacle tout en se désirant et en désirant l’Autre. 7En 1781, une version en prose du conte est publiée et attribuée à Perrault. Ensuite, elle se met à chanter « Amour, amour, je t’aime tant » en se regardant dans le miroir. 13Dans son article intitulé « Homosexual Signs », Harold Beaver propose une analyse intéressante de l’homosexualité en rapport avec le cannibalisme et l’inceste, le lien sous-jacent résidant dans le défi apparent que de telles pratiques constituent à l’égard de l’injonction biblique « Croissez et multipliez ». Paroles.net dispose d’un accord de licence de paroles de chansons avec la Société des Editeurs et … 4 Raphaël Lefèvre s’intéresse à d’autres allusions à l’inceste dans l’œuvre de Demy, notamment dans « La Luxure », sketch réalisé par le cinéaste pour Les Sept Péchés capitaux (1962), Lola et Les Demoiselles de Rochefort. Le miroir et le dandysme sont réunis dans la figure de Narcisse, souvent mise en scène dans les œuvres d’artistes queer, depuis la version qu’en donne Oscar Wilde dans « Le Disciple » et le Traité du Narcisse d’André Gide (1891) jusqu’à l’œuvre du mentor de Demy, Jean Cocteau, lui-même souvent rangé parmi les dandys modernes86. PEAU D’ANE– Jacques DEMY -1970 « Cake d'Amour » de Peau d'Âne. Mon enfant, on n'épouse jamais ses parents ! La trilogie orphique comprend Le Sang d’un poète, Orphée et Le Testament d’Orphée. À l’image du dandy, les personnages féminins de Demy incarnent tout particulièrement, et avec complexité, l’intersection entre le narcissisme, l’exhibitionnisme et le voyeurisme. Dans une scène antérieure de Peau d’âne, la princesse exprime son intention de rencontrer le prince et c’est son désir de le voir qui la conduit à maîtriser le point de vue que l’homme aura sur elle. 74 Émile Vanderburch et al., « Peau d’âne », op. Le lien avec ce personnage est renforcé par le col en forme d’éventail et les couleurs des vêtements de la fée des Lilas79. D'abord Amour, Amour, sur le thème de la recherche de l'amour puis Rêves secrets d'un prince et d'une princesse lorsque l’amour est trouvé. Comme l’amour de la Belle pour la Bête, l’amour de la princesse (qui devient bête) pour son père (qui renvoie à la Bête de Cocteau) en vient à signifier une forme de sexualité queer transgressive. <> 12Évoquons d’emblée par le prétexte même du film : Peau d’âne est l’histoire d’un père qui désire sa fille et souhaite l’épouser. ». De plus, cette scène joue sur les représentations de la femme comme beauté éthérée, incarnée à la perfection par Catherine Deneuve en princesse, par opposition avec la représentation de la femme comme animal, figurée par le double de la princesse qu’est Peau d’âne. Mais son film muet de quinze minutes délaisse entièrement le thème de l’inceste en faisant demander la main de la princesse par un « fiancé ridicule » – un noble aux jambes affreusement arquées – à la place du père. Référence à Cocteau, ce plan rappelle de manière frappante une scène d’Orphée dans laquelle Orphée est vu de l’autre côté d’un miroir à travers lequel il essaie de passer. On peut ainsi voir en ces personnages des dandys féminins81. Peau d’Âne est dans la forêt. Le roi décide de l’épouser. Mon interprétation souligne la manière dont Demy transforme un conte qui véhicule traditionnellement, quoique de manière problématique, les normes hétérosexuelles en une histoire qui parle d’autres formes de sexualité. Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque/établissement d’acquérir un ou plusieurs livres publié(s) sur OpenEdition Books.N'hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées :OpenEdition - Service Freemiumaccess@openedition.org22 rue John Maynard Keynes Bat. 4 0 obj 32 À certains égards, la valorisation de la « bête » chez Cocteau et Demy fait aussi penser à la nouvelle d’Angela Carter « The Tiger Bride », dans laquelle l’héroïne se transforme en bête, au lieu de la bête changée en prince, autre forme non normative de sexualité partagée par le héros et l’héroïne. À travers ses incongruités visuelles et temporelles, le film de Demy va même jusqu’à dénaturaliser le conte qui, sous sa forme écrite, a été apprécié par des générations d’enfants et d’adultes jusqu’à nos jours, mais dont l’absence de représentations cinématographiques est le signe de sa nature problématique. « Amour, amour, je t’aime tant » chantait Peau d’Âne. Le chant de Peau d’Âne s’élève sous les arbres d’une forêt féerique. Sur Cocteau dandy, voir Andrea Fontenot, « The Dandy Diva », Camera Obscura, vol. Il est significatif que Disney consacre deux longues scènes comiques à la notion de propreté. […] On devenait mari et femme sans avoir cessé d’être frère et sœur » (Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine des langues, Paris, Le Graphe, 1967, p. 525-526). 85 Voir Marie-Catherine d’Aulnoy, « L’Île de la félicité », dans Contes I, introd. 61Dans un entretien donné à l’époque de la sortie de Peau d’âne, Demy affirme que la France « est un pays très fermé, très autocensuré, aux structures vieilles, où un film comme Trash de Paul Morrissey (assistant de Warhol) est finalement impensable. a été publié et réédité en 1838, 1863, 1867 et 1883. Elle semble vivre son mariage avec le prince, qu’elle avait pourtant souhaité, comme une déception et, en apprenant que la fée des Lilas va épouser son père, la princesse a l’air un peu contrariée. authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books. Son apparente « incongruité » aux yeux de la majeure partie de la société est purement une question de convention socioculturelle. Cette scène mêle scatologique et signes de richesse, fonctions basses et hautes, déchet et gain. 11Je me concentrerai pour mon propos sur la notion de camp définie par Babuscio comme (1) subversion de la sexualité hétéronormative, (2) incongruité esthétique et (3) théâtralité ou représentation spectaculaire du soi. OpenEdition est un portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales. 6 Voir « Le Livret de Peau d’âne » dans Le Livre. Mais, contrairement à la version pour la scène dans laquelle princesse et fée sont châtiées pour leur coquetterie, Demy met en valeur leur talent artistique. Puisqu’il ne s’agit pas complètement d’un espace défini et revendiqué par la « culture » (par opposition à la « nature »), le château bleu est un endroit où la prohibition de l’inceste qui consolide ces oppositions est, au mieux, précaire25. Beaver affirme : « Avec le cannibalisme et l’inceste, [l’homosexualité] est l’incarnation même de l’autodestruction sociale dans sa recherche d’une proie à dévorer. Tandis que le film condamne implicitement l’aveuglement complet de la souveraine à l’égard de l’état de la France et des vrais paysans, Demy a de la sympathie pour la Marie-Antoinette œuvre d’art et artiste qui, étouffant à la cour, se crée un petit paradis à propos duquel elle déclare : « Je pourrais rester éternellement assise ici à contempler la beauté. En réalité, si la fée des Lilas invoque la loi, c’est uniquement parce qu’elle veut, elle aussi, se marier avec le roi. Grâce à ces aspects incongrus, le film, pour citer Rodney Hill, « met en évidence et en question son univers artificiel et même son propre statut de conte de fées50 ». 2 Jean-Pierre Berthomé, op. 18 Gwénaëlle Le Gras, « Soft and Hard : Catherine Deneuve in 1970 », Studies in French Cinema, vol. « L’amour se porte autour du cou, le cœur est fou (…) Amour, amour, je t’aime tant ». » Toutefois, la juxtaposition de la princesse avec son double bestial dans le film de Demy, ainsi que l’incongruité de l’image de la princesse préparant un gâteau, vêtue d’une robe d’apparat, sophistiquée et encombrante, rend la scène assez ridicule, ou plutôt souligne les aspects que l’on peut déjà considérer comme camp dans le film de Disney, où la représentation de la domesticité est elle-même à la limite de la parodie. ». 53C’est comme si la princesse s’était mise en scène afin que le prince en tombe amoureux et qu’elle puisse l’observer, ce qui conduit le spectateur à se demander si elle ne serait pas elle-même dotée de quelques pouvoirs féeriques. De même que dans le conte de Perrault, elle demande à son père de lui offrir trois robes afin de repousser le mariage. À travers ces personnages, Demy s’inscrit dans une généalogie d’artistes queer qui se sont approprié l’association problématique de Narcisse avec l’homosexualité afin de glorifier une identité individuelle considérée comme socialement et sexuellement aberrante par la société bourgeoise87. « Peau d’âne », version, Duggan, Anne E. “Chapitre II. Amour, amour, je t’aime tant » (Love, love, I love you so), croons Peau d’âne who offers us below the recipe of the love cake « préparez votre, préparez votre pâte, dans une jatte, dans une jatte plate…» (prepare your, prepare your dough, in a bowl, in a flat bowl…) Je préfère qu’ils ne sentent pas […] et je préfère qu’aucun paysan ne soit vieux. Autrement dit, au lieu de le punir, Perrault le réhabilite12. 51 L’association de l’argent et des fèces est présente dans toute l’histoire de la philosophie, de la psychanalyse et de la culture populaire. cité, p. 257). Et, comme la princesse de Peau d’âne, Marie-Antoinette incarne le lieu de convergence du narcissisme, du voyeurisme et de l’exhibitionnisme : tandis qu’elle contemple son image, le comte Fersen parcourt ses appartements du regard. 64 Cité dans J.-P. Berthomé, op. Je suis fan des contes de fées, de Disney, de l' univers des princesses. […] La sexualité non normative avait été déjà été représentée dans la pièce Orphée (1926), l’inceste allait l’être dans son roman Les Enfants terribles (1929) ; l’inceste, la bisexualité et l’homosexualité dans La Machine infernale. » Dans Peau d’âne, Demy transforme ses personnages en autant d’objets de mépris, dans le cas de Peau d’âne la souillon, et, plus fréquemment, en objets d’émerveillement ou d’admiration qui s’exhibent comme des œuvres d’art. Contrairement aux bonnes fées des versions classiques des contes de fées qui aident et soutiennent l’héroïne, la fée des Lilas du Peau d’âne de Demy se présente comme la rivale sexuelle de la princesse. cit., p. 152. 26 L’auteur cite ici l’une des définitions du terme « primitive », donnée en anglais par l’Oxford English Dictionary (N. D. T). Pour le spectateur adulte initié, cet élément d’information sur le comédien suscite forcément une distance esthétique et même ironique entre l’acteur et le rôle, distance qui sème le trouble dans l’hétérosexualité apparente de la relation incestueuse entre père et fille, telle que la représente le film. Dans un entretien à Télérama, Demy déclarait sans ambiguïté : « Quand j’ai écrit la scène où l’on voit Peau d’âne pétrir la pâte et chanter la chanson du cake d’amour, j’ai revu Blanche-Neige confectionnant une tarte aidée par les oiseaux64. En réaction au chaos et à la diminution de la population provoqués par la Seconde Guerre mondiale, la politique familiale française a fait marche arrière sur la question des droits des femmes pour se concentrer sur « la constitution de familles nucléaires avec enfants, dans lesquelles le père travaille à l’extérieur et la mère se consacre au foyer16 ». Elle avait également joué dans Baisers volés de François Truffaut (1968) et dans La Voie lactée de Luis Buñuel (1969). Adresse : 2, avenue Gaston Berger CS 24307 F-35044 Rennes cedex France. » Comme sa marraine, la princesse est associée aux miroirs. 3 Rodney Hill, « Donkey Skin (Peau d’âne) », Film Quarterly, vol. Afficher en entier Voir Angela Carter, Burning Your Boats : The Collected Short Stories, introduction de Salman Rushdie, Londres, Penguin, 1997, p. 154-169. Dans le film de Cocteau, une forme d’amour transgressif (l’inceste) en remplace une autre (la bestialité). En outre, comme le poème de Cocteau, l’inclusion de l’hélicoptère apporte une dimension nouvelle au magique, qui se rapporte ici moins aux formes traditionnelles d’enchantement qu’aux merveilles de la modernité. Lorsqu’elle s’installe dans la maisonnette sous les traits de Peau d’âne, la princesse se sert de sa baguette magique pour avoir un lit, une chaise, une table, un coffre et, bien sûr, un miroir ; ce faisant, elle recrée l’environnement qui sied à la mise en scène de soi. Comme je lui ai dit, profite, ce sont les meilleures années de la vie. Peau d’âneest un véritable enchantement, porté par la musique et les chansons de Michel Legrand. Le texte de la féerie de Vanderburch et al. En faisant incarner le père incestueux par Jean Marais, Demy pouvait ainsi associer la bestialité au désir transgressif du personnage. Voir « Cowles Closing Look Magazine after 34 Years », New York Times, 17 septembre 1971, p. 1. L’association de ces stratégies a pour effet d’ébranler ou de perturber les oppositions sur lesquelles repose l’ordre sociosexuel de la France de l’après-guerre, qualifié par Rebecca Pulju d’« âge d’or du familialisme », où prédominent des notions conservatrices de la famille et du genre. » Babuscio a répertorié quatre grandes caractéristiques dans les œuvres marquées par l’esthétique camp ou perçues comme telles : d’abord, l’ironie qui prend souvent la forme de l’incongruité ; deuxièmement, l’esthétisme ou l’accent mis « sur les surfaces, les textures et les images sensuelles […] non seulement parce qu’elles sont en cohérence avec l’intrigue, mais parce qu’elles sont fascinantes en elles-mêmes14 » ; en troisième lieu, la théâtralité, en particulier l’existence vue comme une pièce de théâtre et le spectacle de soi-même ; et, quatrièmement, l’humour, qui renvoie à l’ironie et mêle comédie et douleur afin de nous permettre « d’être confrontés à des questions “sérieuses” avec un détachement provisoire15 ». 35Comme je l’ai déjà évoqué, Peau d’âne fait de nombreuses et importantes allusions à l’œuvre de Jean Cocteau. Il est ici possible de comprendre le sens « conservateur » donné par Demy au château bleu comme signifiant « primitif », c’est-à-dire « au tout premier stade26 » de la société comme de l’individu et, en particulier, de la princesse qui doit encore surmonter son complexe d’Électra. ), Toward an Anthropology of Women, New York, Monthly Review Press, 1975, p. 157-210, pour une analyse du travail féminin et de l’échange de femmes, qui remet en cause l’universalité des modèles proposés par Claude Lévi-Strauss, entre autres. Contrairement à Perrault, apologue de la vie de famille, Marie-Catherine d’Aulnoy, sa contemporaine, célèbre dans ses œuvres la culture aristocratique des débuts de l’époque moderne71. L'histoire est encadrée de deux fugues, l’une en ouverture, l’autre en clôture. Entourés de portraits élégants, trois aristocrates clients de la boutique se contemplent dans un miroir tout en examinant « le matériel qui rehaussera leur beauté : des brosses pour parfaire leur coiffure et des boîtes contenant les poudres, parfums ou bijoux qui leur servent de parure70 ». Intéressé par le genre du conte de fées en général, Demy était tout particulièrement captivé par cette histoire d’inceste, thème récurrent dans d’autres de ses films, comme Parking, version du mythe d’Orphée dans laquelle Hadès (Jean Marais) est l’époux de sa nièce, Claude Perséphone (Marie-France Pisier), et Trois places pour le 26 où le personnage d’Yves Montand, incarné par lui-même, couche avec Marion, interprétée par Mathilda May, dont il ne sait pas qu’elle est sa fille4. Monsieur Dame est le père de Boubou, le demi-frère de Solange ce que celle-ci ignore et, comme tel, il représente une figure paternelle associée à son personnage. Le seul véritable substitut de son père est la Bête et, comme l’ont noté certains critiques, la Belle semble déçue lorsque « ma Bête » se change en bel homme36. Moyen de transport réaliste, l’hélicoptère semble ironiquement plus étrange dans ce film-conte de fées que ne le serait un carrosse volant imaginaire. Blanche-Neige se met à la ranger avec l’aide des animaux, leur ayant préalablement appris à faire le ménage correctement. Dans la version collectée par ces derniers, le foyer des nains est assez ordonné, alors que, chez Disney, un désordre indescriptible règne dans la maison des sept nains. 68 C’est Mary Elizabeth Storer qui, la première, a identifié cette « vogue du conte de fées » dans Un épisode littéraire à la fin du XVIIe siècle : la mode des contes de fées (1685-1700), Paris, Champion, 1928. » Le prince n’est qu’un substitut – imposé par une loi arbitraire – qui ne saurait remplacer pleinement l’objet originel du désir de la princesse : son père. 33La répétition du son « fée » (guitare fée, Orphée, faits, prononcés « fés », divers) associe la magie de la modernité avec le féerique. 55 Sur cette ressemblance, voir ibid., p. 247. cit., p. 96). Dans The Aristocrat as Art (1980), Domna Stanton met en évidence les affinités qui existent entre « l’honnête homme » de la cour de Louis XIV et le dandy plus rebelle de la France postrévolutionnaire qui, comme son prédécesseur des débuts de l’époque moderne, accordait de l’importance à la mise en scène et à la construction de l’identité individuelle. Elles ont pour fonction de dénaturaliser les perceptions conventionnelles de la « réalité », y compris la sexualité. Mise en scène pour la première fois en 1863, cette œuvre est une version revisitée d’une féerie antérieure de Vanderburch et Laurencin, qui connut un succès durable à Paris et en province jusqu’en 1878 au moins, date à laquelle le décorateur Chéret poursuivit ses collaborateurs qui ne lui avaient pas versé sa part des bénéfices6.